Trans-Australie I 5200 km de vtt à travers le pays continent

ce récit écrit EN 1993, relate ma TRAVERSÉE, réalisée la même année.  Cela ne me rajeunit pas, mais les souvenirs sont toujours bien présents, comme si c’était hier.

I

– G’day Mate ! Where are ya goin’?

Dans un nuage de poussière rouge, il vient de ralentir son 4×4 à mes côtés. Par la fenêtre à moitié baissée, me fixant avec des yeux qui révèlent à la fois la surprise et l’admiration, il me demande ce que j’ai presque pris l’habitude d’entendre dans le grand désert de Victoria. Où vais-je ? Question surprenante quand on sait que la piste ne peut mener qu’en un seul endroit… comme si ma présence en ces lieux, au milieu d’un univers désolé et sur un vélo-tout-terrain, était tout aussi possible que l’atterrissage d’un vaisseau spatial rempli de petits hommes verts.

En cette fin d’avril où l’automne pointe son nez, le thermomètre est encore élevé et doit friser les 35° à l’ombre des très rares eucalyptus. À peine a t’il quitté le confort de son véhicule climatisé, les gouttes de sueur perlent sur son front, coulant du dessous de son  » Acoubra « , le véritable chapeau australien porté par tous dans le bush. Déjà, le vent léger vient coller sur sa nuque humide la poussière omniprésente dans ce royaume de sable. Avec l’index de sa main droite, il soulève négligemment le bord d son chapeau et me laisse mieux voir encore son air béat. Il est jeune, 30 ans environ, le jean décoré çà et là de taches de toutes sortes, un T-shirt sans manches mettant en valeur son bronzage et la musculature imposante de ses bras.

Dans une franche poignée de main, nous extériorisons le plaisir réciproque de pouvoir enfin discuter un peu, après tant de kilomètres seuls. Il abaisse la petite porte de son coffre, m’invite à m’asseoir et me propose une bière puise au fond de sa glacière. Offre simple qui revêt ici un caractère tout particulier. Depuis que je roule sur la piste, je ne bois plus que de l’eau chaude et déguste donc, gorgées par gorgées, ce liquide inestimable, d’autant plus que le premier pub est à près de 450 kilomètres.

Il s’appelle Peter et va sur la côte Est pour surfer. Indication peu surprenante à la vue de la petite planche multicolore qui trône sur son toit. Comme beaucoup d’Australiens, il est au chômage et tout en cherchant à droite à gauche un nouvel emploi, il dévore la vie, avec l’espoir de trouver la vague parfaite qui ne finirait jamais. À côté du surf, un emplacement qu’il s’est aménagé pour dormir à la pleine lune, lorsqu’il visite certaines régions du nord tropical où les crocodiles abondent. En un quart d’heure, on discute comme si l’on se connaissait depuis toujours. La bière accentue mon enthousiasme t c’est sans mal que je réponds aux nombreuses questions qu’il me pose. Mes idées devenant de moins en moins claires, je refuse une seconde canette mais accepte volontiers l’eau qu’il me propose pour renouveler mes réserves.
On échange nos adresses et c’est avec un moral au plus haut que je le regarde s’éloigner, suivant longtemps l’énorme nuage de sable qui finira par disparaître au bout d’une ligne droite interminable.

Le soleil aidant, je laisse derrière moi une trace peu régulière témoignant de mon léger état d’ébriété. Pas grand-chose à craindre, le poste de police le plus proche est presque à une journée de voiture.
Dans le lit d’une rivière asséchée, je m’adosse au tronc d’un gros eucalyptus. Devant moi, la silhouette aplatie d’une butte d’une cinquantaine de mètres devient progressivement plus floue. Je me sens bien, loin de tout, j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver. La tête me tourne un peu, les images m’envahissent…

Je pense à mes proches, à mes amis et au défi que je suis en train de réaliser à travers ce pays grand comme 14 fois la France. Je pense à l’idée un peu folle que j’ai eue en décidant de le parcourir par les déserts du centre, en vélo, pour mieux m’y fondre, mieux l’approcher, mieux le comprendre, mieux l’aimer.

Dans le sommeil qui m’emporte, il me semble baigner dans un environnement liquide et froid depuis une éternité. À allure régulière, mes mains frappent l’eau qui m’entoure. Pas de sensation de fatigue, j’ai l’impression de connaître mes mouvements qui se déclenchent seuls, sans même avoir à les commander, comme s’ils étaient ancrés en moi dans le registre  » réflexes naturels « . Mélange de vert, de gris mais aussi de bleu, les couleurs environnantes sont diverses. L’eau salée que j’avale parfois à le goût du bonheur. Au-dessus de ma tête et de celles de l’équipe d’assistance qui m’accompagne en canoë, le pont de St. Nazaire !
La Loire, je nage dans la Loire, le grand fleuve avec lequel j’ai partagé en 1992, une belle histoire au fil de son cours. Pour quelques instants encore, j’ai contact avec elle avant de mettre un terme à cinq semaines d’expédition commune. Après l’avoir suivie depuis son berceau jusqu’à Decize, en course à pied sur 400 kilomètres de route, J’achève ici les 600 kilomètres de natation enchaînés juste derrière.

Alors que je goûte à la réussite, presque gâchée d’en avoir si tôt fini, des images traversent mon esprit. Une île gigantesque, la plus grande qui soit, loin, très loin… Pourtant, il me semble que je peux la toucher et depuis quelque temps, sa silhouette se précise dans ma tête. Les prémices d’une nouvelle aventure alors que la précédente se termine à peine ! Ne pas traîner, brûler tout mon temps, foncer…

– Veuillez-vous asseoir, quelqu’un va vous appeler.

Avec un beau sourire, une Aborigène à la forte corpulence me montre du doigt les trois chaises rassemblées autour d’une petite table en bois au fond de cette pièce sur éclairée. Tout y est moderne, propre, et la quasi-totalité de ceux qui travaillent ici sont de couleur.

– Mister Fulconis (prononcer « Feèlconoes), follow-me please!

À son bureau, les yeux atténués derrière une paire de lunettes à gros verres posée sur un nez aplati, il rassemble devant lui les documents nécessaires. Depuis mon arrivée il y a trois jours à Perth, capitale de l’Australie Occidentale, ce rendez-vous était ma priorité. Nous nous trouvons ici dans les locaux des  » Aboriginal Land Rights « , le bureau des droits des Aborigènes à revendiquer la possession de la terre, créé en 1976. À l’arrivée des premiers colons Anglais en 1788, le principe de terra nullius avait été décrété. Autrement dit, les Aborigènes avaient été dépossédés de leurs terres sans aucune forme de compensation. Quand on connaît l’attachement de ces gens au sol sur lequel ont vécu leurs ancêtres, on peut comprendre à quel point cette perte de leur héritage culturel a pu être terrible. Depuis lors, les choses ont évolué et différentes décisions ont été prises afin de rendre peu à peu aux Aborigènes, les terres qu’ils revendiquent. La majorité d’entre eux est réunie en communauté dans les régions isolées du cœur du pays.

L’itinéraire choisi pour ma traversée passe inévitablement par des zones leur appartenant. Pour y pénétrer, une seule solution, obtenir un permis et c’est la raison de ma présence dans ce bureau. Ma demande est partie de France il y a plus de trois mois déjà, mais à mon départ, le formulaire nécessaire ne m’était pas encore parvenu. Normal, le formulaire est là, devant lui, rempli, mais encore vierge du tampon obligatoire. D’un rapide coup d’œil, il se replonge dans mon dossier. En me regardant fixement, il résume la situation.

– Vous souhaitez traverser plus de 1200 kilomètres d’une région déserte, propriété des Aborigènes, dans laquelle les points d’eau se compte à peine sur les doigts d’une main, sans assistance, et en vélo-tout-terrain ?!!

Un mot lui vient tout de suite à l’esprit et avant que sa bouche ne l’ait prononcé, je l’ai entendu à l’expression de son regard.

– Pourquoi ?

Rapidement, je lui résume ma motivation à découvrir ce pays qui de loin, m’a toujours fasciné. Sa faune unique, ma passion pour les grands espaces infinis qui ne peut ici que s’assouvir pleinement, la beauté magique du rocher d’Uluru et les mystères qui rôdent autour de sa population d’origine, présente sur les terres depuis plus de 40 000 ans. L’envie que j’aie de l’approfondir, doucement, sans bruit comme pour me laisser l’approcher de plus près.

– Vous savez que normalement, il est interdit de dormir en territoire Aborigène, seul le passage est autorisé. Vous pouvez dormir à deux endroits seulement sur la piste.

Facile pour un véhicule quatre roues motrice de couvrir en une journée 400 kilomètres. Je compte pour ma part en faire 80 dans le même temps. Une dernière fois, il me regarde droit dans les yeux puis, comme s’il y puisait la volonté féroce que j’ai à vouloir mener ce projet à bien, quoi qu’il en soit, il finit par apposer le tampon libérateur.

Perth, surnommée en 1962 par l’astronaute John Glenn alors en orbite autour de la terre,  » ville Lumière  » parce que tout avait été allumé pour son passage. Cité la plus éloignée du monde, Kalgoorlie est à 600 kilomètres, Alice Springs à 3700 et Sydney à 4050, l’atmosphère qui y règne est tout à fait particulière. Un nombre de jours de soleil supérieurs aux autres capitales australiennes et des pluies abondantes donnent aux multiples espaces verts un éclat unique. La Swann River qui la traverse, a longtemps été considérée comme la rivière la plus propre de la planète. Le nombre de bateaux par habitant y est plus élevé que partout ailleurs et ses résidents passent la plupart de leurs loisirs au bord de l’eau.

Les embouteillages y sont rares, les rues très larges avec presque toujours, un espace réservé aux cyclistes qu’empruntent, talkies walkies à la ceinture, les coursiers en VTT qui sillonnent la ville en tous sens. En dehors des activités nautiques, le cricket, le basket, le base-ball ou encore le tennis ou le jeu de boule ont de nombreux adeptes.

Fondée en 1829 par James Sterling, avec pour seul objectif d’empêcher les Français de s’installer dans cette partie du monde, la cité ne connut un véritable essor que dans les années 50, avec la découverte de gisements minéraliers du nord de l’état. Perth jusqu’alors paisible va littéralement décoller, se couvrant rapidement de gratte-ciel. La ville a la particularité d’absorber la grande majorité de la population de l’état le plus étendu et le plus vide du pays. Près de 400 000 personnes seulement se répartissent sur une superficie grande comme quatre fois la France.

Pour terminer la préparation du matériel nécessaire à mon expédition, je passe de longs moments au cœur de la ville. Rectangle quadrillé par dix rues dans le sens de la longueur et cinq en largeur, le centre est minuscule, toujours construit autour d’un axe piétonnier, le  » Mall « , on fait le tour en une heure. A chaque feu, des signaux sonores destinés aux aveugles. Les gens sont décontractés, en short et t-shirt, certains pieds nus, le calme et l’ambiance qui y règnent sont plutôt ceux d’une petite ville de province qui tend à nous faire oublier sa prodigieuse activité commerciale, dans l’industrie minière notamment, mais aussi dans le marché très fructueux du diamant.

Près de 200 nationalités sont présentes en Australie et on peut y manger de tout, pour de petits prix. Pas de cuisine véritablement typique mais une influence évidente de la Grande Bretagne et des pays asiatiques tout proche, peu à peu remplacée par la junk food américaine. Hamburgers et Coca-Cola pour une population qui pourtant garde la ligne… merci au sport.

Coté alimentation, ma traversée laissera de côté la nourriture classique puisque c’est, du moins lors de la traversée des déserts, le lyophilisé qui composera l’essentiel de mes menus. À l’origine, il était prévu que j’envoie de France avant mon départ, des colis aux différentes adresses en poste restante où j’y aurais retrouvé les aliments achetés sur Paris. Cependant, les douanes australiennes sont relativement sévères en ce qui concerne l’apport d’alimentation. Ayant réussi à se préserver d’un certain nombre de maladies, tout est aujourd’hui soigneusement contrôlé, à l’importation mais aussi à l’exportation, notamment pour la faune et la flore de mieux en mieux protégée. Ainsi, pour éviter tout risque de maladie qui mettrait l’île en danger, apporter dans ses valises de la nourriture, sous quelque forme que ce soit, est strictement interdit.

TA2

Le lyophilisé que je parviens à me procurer vient de Nouvelle-Zélande. Dans une boite en carton, je place soigneusement la vingtaine de sachets destinés à la traversée du Grand désert de Victoria, et je les expédie à Kalgoorlie, dernière poste avant les étendues sableuses.

À Fremantle, le port de Perth, j’apprécie les visages souriants et naturel des gens rencontrés. Ici, les hommes d’affaires négocient avec attaché-case, comme partout, mais aussi en short, comme nulle part ailleurs… Je suis bien, le contact passe tout de suite mais déjà, j’ai hâte de partir, d’être seul sur les piste, de voir, de savoir.

Les dix jours que je m’étais donné pour régler les derniers détails vont bientôt toucher à leur fin. Avec les amis qui m’ont accueilli chez eux, je passe l’ultime soir à Kings Park, sur la hauteur de Perth. Dévasté en 1989 sur près de la moitié de sa superficie par un incendie, il est un exemple de tenue, de propreté et les multiples variétés de fleurs de son jardin botanique lui confèrent davantage de valeur encore.

Nuit tranquille ; même dans les situations les plus tendues, le sommeil ne me pose pas de problèmes. Pourtant, cette aventure, j’en ai souvent douté. Parfois, j’ai presque failli y renoncer. Les difficultés à trouver des financements m’ont incité à réfléchir sérieusement. Curieusement, bien que j’en tenais compte, les lettres que j’avais pu recevoir de contacts australiens tentant de me décourager à faire un tel périple ne m’ont pas freiné. Peut-être est-ce même ce qui m’a un peu poussé à tenir bon.

Au fond de moi parfois, un mot : impossible. L’idée que cette fois, malgré l’organisation parfaite du projet, tout pouvait arriver sans que la qualité du travail de préparation soit remise en question. Dans le Loire, il y avait la notion d’effort physique associée à celle de la découverte mais la qualité de l’équipe d’assistance permettait de répondre à tous problèmes. Ici, non seulement il va falloir pédaler dans des conditions plus que difficiles, mais il me faudra aussi gérer mon alimentation, mon eau, les distances par rapport à mon état de fatigue et surtout, pouvoir répondre à une quelconque défaillance ou à un accident. Dans ma pharmacie, une grosse quantité de médicaments, bandes, pansements, crèmes, antiseptiques mais aussi une agrafeuse et du fil s’il me fallait me recoudre, tout comme plusieurs injections à me faire en cas de morsure de serpents ou d’araignées.

La suite…

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