Depuis douze jours, je partage une véritable histoire d’amour avec la Loire.
Parti du Mont Gerbier-de-Jonc, j’ai tout d’abord parcouru 400 kilomètres en courant, sac au dos, au rythme d’une cinquantaine de bornes par jour. En longeant le cours du fleuve, je l’ai vu s’élargir petit à petit, passant d’un mince filet d’eau à un cours majestueux, et changer de couleur.
À Decize, je retrouve Stéphane, Christophe, Fabrice et Gilbert. Christophe ne pourra être parmi nous que 15 jours et sera remplacé par mon frère, un autre Stéphane. À partir de là, ils me suivent en canoë et réalisent l’assistance de cette seconde partie dont l’objectif est l’embouchure, l’océan Atlantique où l’eau du fleuve se gorge de sel. Pour ma part, c’est à la nage, en crawl, que je vais couvrir les 600 kilomètres nous séparant de Saint-Nazaire.
Il fait froid. Dans l’eau, la température dépasse à peine les 11° et dans les bateaux, mes amis ont revêtu leur blouson imperméable. Après un départ salué par la présence permanente du soleil, nous sommes depuis deux jours arrosés par une pluie abondante. Une pluie que nous regardons tomber avec le plus grand bonheur tant le niveau du fleuve est bas et entrave notre progression.
Pour ce projet à la découverte du dernier fleuve sauvage d’Europe, j’ai souhaité associer des enfants. Une vingtaine d’enseignants a répondu à l’appel et travaille depuis plusieurs mois, avec les élèves, sur des thèmes en rapport avec le fleuve. Les écoliers correspondent également entre eux afin de présenter la Loire qui coule près de leur porte et découvrir celle d’autres régions. Ce travail se concrétise par des rencontres, lors de notre passage.
Avant Dampierre-en-Burly, demain, nous devons aujourd’hui retrouver plus de 300 enfants à la centrale de Belleville-sur-Loire. De notre bivouac, nous ne mettons pas longtemps à effectuer les douze kilomètres qui nous en séparent. À notre approche, les écoliers poussent de véritables hurlements, à tel point que nous les entendons bien avant de les apercevoir. Rassemblés sur la berge, ils agitent leurs bras et des banderoles de bienvenue qu’ils ont spécialement confectionnées. Une dizaine de journalistes de la télévision, de la presse écrite et de la radio sont également là.
Ce moment est exceptionnel. À peine sortis de l’eau, ils nous assaillent, tout aussi ravis que nous de cette rencontre. Une fois que je me suis débarrassé de la combinaison de natation et habillé, nous nous rendons tous ensemble vers le centre d’information du site. Les questions fusent de partout. Les enfants veulent tout savoir dans les moindres détails et ce contact est magique. Voir leurs yeux pétiller de bonheur en notre présence me fait chaud au cœur. Une chaleur retrouvée le soir même lors de notre bivouac dans le superbe petit village d’Ousson-sur-Loire. Sur la berge, bon nombre de ses habitants est là pour nous accueillir et nous entraîner à un banquet pour lequel tous se sont mobilisés.
Sans trop savoir où cette aventure va me mener, j’ai déjà la certitude d’avoir trouvé une part de réponse à mes attentes. La possibilité de mêler le dépassement de soi, la découverte d’une nature à laquelle j’attache tant d’importance, et l’opportunité de faire profiter ceux qui restent et voient dans le récit de ces temps forts, un formidable moyen d’évasion.
Devant nous, le superbe pont enjambant le fleuve royal entre Saint-Nazaire et Saint-Brévin-les-Pins.
Un ouvrage ayant si souvent habité mes pensées au cours des cinq dernières semaines, depuis le départ du Mont-Gerbier-de-Jonc.
Sur la plage où nous posons définitivement le pied, je suis partagé entre un moment de bonheur intense et une mélancolie dont je ne parviens pas à déceler l’origine. Après avoir tant rêvé cet instant, je suis incapable de le vivre pleinement. Ces semaines ont été si fortes, il me semble que rien ne sera plus comme avant.
L’aventure est en moi, j’en suis à présent certain. Je n’oublie pas le regard des enfants, l’éclat du bonheur dans leurs yeux. Alors, je vais repartir, découvrir, observer, rencontrer des gens et surtout revenir, la tête pleine de souvenirs, afin de les faire partager.