Noël est un type épatant. C’est à Alice Springs que nous nous sommes rencontrés, alors qu’il venait avec sa femme et des amis participer aux « Master games », des petits « jeux olympiques » réservés aux vétérans.
<p class= »p1″><span class= »s1″>Comme Sue, son épouse, c’est un champion de bowling. Ils repartiront avec des médailles en poche et comme toujours, un sourire gigantesque. Leur ville c’est Mont Isa, dans l’État du Queensland, à environ 800 kilomètres d’Alice Springs. Une distance que je parcours actuellement, confortablement installé dans un car de voyage. Dehors, il fait nuit noire et je ne verrai quasiment pas âme qui vive sur le parcours hormis lors des deux arrêts. À bord, nous avons droit à un navet sur cassette vidéo dont je ne connaîtrai jamais la fin, le sommeil m’ayant gagné avant.
Quand le car s’arrête, j’aperçois Sue, sa fidèle cigarette au bec. De l’autre côté de la rue, derrière de hauts barbelés, la mine, encore éclairée de lumières multicolores. Cette dernière explique ma présence ici, à plus de 15 heures de route d’Alice. Dans le jour naissant, elle apparaît, énorme, impressionnante. C’est là que Noël travaille. Mont Isa possède l’une des plus importantes mines d’argent et de cuivre de la planète. En l’écoutant m’en parler, je n’avais pu résister à l’envie de venir ici, avec l’avantage de pouvoir bénéficier d’un guide hors pair : Noël, le responsable des explosions.
Dans leur petite maison, je suis chez moi me dit Sue. Une phrase entendue chaque fois que j’ai eu la chance de me trouver dans un foyer australien.
Ici où vivent un peu plus de 20.000 habitants, la quasi-totalité de la population travaille d’une manière directe ou indirecte à la mine. La prospérité de la commune a attiré des gens d’une soixantaine de nationalités. Les rues sont démesurément larges comme tout ici. Mont Isa figure d’ailleurs en superficie (42 904 km²) parmi les plus grandes villes du globe. Marrant, quand on voit qu’il est facile de faire le tour du centre en moins de vingt minutes.
C’est en 1923 que fut découvert le premier filon par un prospecteur du non de John Campbell Miles. La fondation de la mine date de 1924, mais ce n’est que durant la Seconde Guerre mondiale qu’elle prit réellement son essor.
En voyant mon air triste, Noël me tend une bière fraîche. Il n’a pu obtenir pour moi l’autorisation de photographier en sous-sol. C’est vrai que je suis déçu. Je suis l’un des rares étrangers, et certainement le premier Français, à pouvoir descendre au fond. J’aurais aimé faire des photos de l’activité intense se déroulant sous terre. Je devrai me contenter de mes yeux et de ma mémoire. L’espionnage industriel est pris ici très au sérieux.
Avant le lever du jour, Sue vient me tirer de mon sommeil. Elle m’accompagne à l’entrée de la mine où je suis pris en charge par un employé. À plusieurs reprises, je dois décliner mon identité jusqu’à ce que l’on m’agrafe sur la poitrine un badge avec ma photo. Dans la salle des commandes, je peux observer le travail souterrain avec les explications d’un technicien. Le vestiaire est à l’échelle du site, immense. Dans un coin, on m’indique ma combinaison. Une tenue plus proche de « La guerre des étoiles » que d’un bleu de travail. Aux pieds, des chaussures de sécurité et sur la tête, un casque ressemblant à celui des pompiers américains, à une différence près, la lampe qui trône au-devant de celui-ci. Dans cette grande pièce, un groupe d’hommes s’équipe en riant alors que d’autres, leur travail terminé, sortent nus de la douche. Lorsqu’une sonnerie stridente retentit, Noël se joint à moi pour suivre le groupe jusqu’à la porte de l’ascenseur. À l’intérieur, nous sommes plus de quatre-vingts. Lorsqu’il se met en marche, le silence se fait et nous gagnons les profondeurs. La descente dure de longues minutes et au fur et à mesure, la température augmente.
L’ascenseur s’immobilise soudain, nous sommes à -870 mètres. Autour de nous, l’activité est intense et je suis fasciné de voir tant de personnes travailler si loin de la surface. Je ne suis pas au bout de mes surprises. Noël me guide dans la pièce de repos où les hommes viennent lors de leur pause. Au centre, une longue table de bois et des bancs. Sur les murs, des posters rappellent les règles de sécurité et le nombre de jours passés sans accidents : 237.
Dans un local adjacent, un technicien mâchouillant son stylo, les chaussures sur le bureau, visionne une bonne vingtaine d’écrans vidéo, surveillant les différents niveaux. Assis dans un 4×4 Toyota, nous suivons l’une des très nombreuses pistes qui parcourent le site en tous sens. Au total, il y a plus de 350 kilomètres de galeries dans lesquelles se perdre est assez facile. Noël quitte sans cesse l’axe où nous sommes pour emprunter une piste plus étroite. Seuls, les phares de la voiture et l’éclat de nos lampes frontales procurent de la lumière.
La température dépasse les 35°, 50° sur les murs et l’atmosphère, parfois irrespirable, nous oblige à placer un masque sur notre visage. Parfois, après plusieurs kilomètres sans le moindre signe de vie, nous tombons sur un mineur, seul, trempé de sueur, les muscles bandés sur un marteau piqueur.
Plus loin, une lumière intense crève soudain l’obscurité. Au bout de la cavité, un engin énorme vient en notre direction. Telle une araignée monstrueuse au fond d’une cave, il s’approche à vive allure.
Quand notre véhicule se place à ses côtés, je reste bouche bée devant sa masse impressionnante. Le toit de notre tout-terrain arrive à peine au sommet de ses roues. Le chauffeur me tend une main chaude et amicale et m’invite à venir me placer derrière lui. La cabine est petite et de ce fait, assez peu confortable. Devant lui, un tableau de bord digne d’un avion de ligne où s’aligne un nombre impressionnant d’indicateurs lumineux. Sur un coin du pare-brise, un écran diffuse les images d’une caméra fixée sur le toit de l’engin. Elle permet à Alec, le conducteur, de s’assurer du bon fonctionnement du bras qui, relié à un câble électrique courant au plafond de la cavité, permet au monstre d’acier d’avancer. L’électricité a l’avantage de ne dégager aucun gaz nocif dans une atmosphère aussi confinée.
Le bruit couvre une bonne partie des explications qu’il me donne, malgré sa voix grave et son visage tourné vers moi à intervalles réguliers. Je comprends néanmoins que ce sont les batteries de l’engin qui prennent le relais lorsque nous quittons la cavité principale pour nous engager dans un tunnel étroit. Une centaine de mètres plus loin, l’énorme pelle installée à l’avant et pouvant contenir une voiture de petite taille, déverse les tonnes de gravât arrachés à la terre à deux kilomètres de là. De retour sur l’axe principal, Alec lâche le volant pour saisir un manche placé devant ses jambes. Les yeux rivés sur l’écran vidéo, il guide le bras vers le câble électrique où il vient s’accrocher.
Quelques minutes plus tard, j’ai repris place aux côté de Noël dans le véhicule. D’un geste de la main, nous saluons Alec avant de continuer notre descente vers le fond de la mine. Les voitures comme celle dans laquelle nous sommes sont achetées neuves et remplacées chaque année. Elles supportent en effet assez mal leurs conditions de vie. Il me semble être dans un gigantesque parking dans lequel nous tournerions inlassablement, à la recherche d’une place. De temps à autre, nous croisons un autre véhicule, mais ce n’est qu’en approchant du fond que l’activité redevient intense.
Nous cessons de descendre et sommes à présent au centre d’une large cavité éclairée où se mêlent hommes et machines.
Même si je me trouve encore bien loin du centre de la terre où Jules Verne emmena ses héros, je n’aurais jamais imaginé descendre un jour à une telle profondeur. Nous sommes à -2.250 mètres.